Le pont – trait d’union

PAR RACHEL BOUVET

Avant de me rendre au musée des Abénakis à Odanak, j’avais ciblé en plus de l’exposition permanente deux expositions temporaires intéressantes pour mes étudiants : « Mémoire Rouge. Les pensionnats indiens au Québec » parce qu’elle provoquait d’emblée une réflexion sur les rapports d’altérité entre les peuples, et « Reliques et passages » de l’artiste Eruoma Awashish parce qu’elle soulevait la question du métissage culturel et artistique. La troisième exposition temporaire ne m’avait pas semblé pertinente sur le coup, car elle était consacrée à un événement local : la célébration des 82 ans du pont David-Lapierre, remplacé par un nouveau pont en 2011. Or, une fois rendue sur place, quelle n’a pas été ma surprise en m’apercevant qu’elle réunissait les fondements de la réflexion sur la frontière, troisième élément de mon séminaire (Altérité, frontière, métissage) !

 

C’est à l’initiative du député David Lapierre qu’un pont a été construit en 1932 pour enjamber la rivière Saint-François de manière à créer des relations entre trois communautés : la municipalité de Pierreville et la réserve abénakise Odanak sont situées sur la rive est, et la municipalité de St-François-du-lac sur la rive ouest. Voici ce qu’on peut lire dans un article du Nouvelliste paru le 30 janvier 2014 :

 

« L’arrivée du pont a permis aux trois communautés d’échanger, que ce soit au point de vue commercial, social, culturel » [explique Mme Bélanger, directrice du musée des Abénakis]. Ce faisant, cette infrastructure est devenue le trait d’union entre les trois communautés qui, auparavant, vivaient séparées les unes des autres. Surtout que des services sont répartis de chaque côté de la rivière Saint-François. «À l’école primaire, il y a un niveau d’un côté, et l’autre niveau est de l’autre côté. L’épicerie est d’un bord, mais la caisse populaire est de l’autre bord», donne en exemple M. Lamarche, qui cite une phrase d’Isaac Newton, physicien anglais: «Un pont réunit ce que la nature a séparé».

 

La nature a peut-être séparé les deux rives, mais certainement pas les peuples. Les rivières, les fleuves et les mers ont souvent été considérés comme des frontières naturelles, ainsi que l’explique Thierry Hentsch dans son essai sur La mer, la frontière. La rivière est un obstacle à la rencontre quand nous décidons d’y ancrer nos certitudes. Il suffit de changer d’angle d’approche pour la percevoir comme une voie de navigation, de communication, comme un chemin qui marche. Construire un pont signifie dans ce cas-ci poser un geste physique et symbolique, c’est rendre possible la rencontre entre les communautés blanches et abénakise. Le rôle du pont est d’unir ce qui était séparé par l’histoire des hommes, une histoire de conflits, d’incompréhension et de souffrance.

 

Chaque fois que je flâne sur un pont, j’ai l’impression de me tenir en équilibre – un fragile équilibre – entre le passé (l’histoire du pont David-Lapierre par exemple) et l’avenir : comment ne pas penser aux nombreux ponts qu’il reste à bâtir, aux passerelles à édifier entre les cultures, afin de guérir les blessures et multiplier les lieux de rencontre avec l’autre ? C’est plus fort que moi, chaque pont traversé m’entraîne dans une méditation sans fin, comme s’il jouait le rôle de caisse de résonnance pour les paroles de l’architecte italien et bâtisseur de ponts Paolo Solari : « Le pont est un symbole de confiance et de sécurité, un moyen de communication et un élément d’union » (Citation affichée à l’exposition).

3 commentaires sur “Le pont – trait d’union

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  1. En parallèle du pont La pierre, on voit encore des piliers vestiges d’un pont ferroviaire du CN qui passait dans le village d’Odanak. En 2012, les cyclistes devaient prendre la navette pour traverser l’ancien pont. En 2015, on traversait le nouveau pont sans problème.

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